Architecte Charles Le Cœur

Sous la Troisième République, Charles Le Cœur (1830-1906) concrétise la politique de Victor Dupuy et de Jules Ferry, qui préconisèrent l’enseignement accessible à tous. Ainsi, après avoir entre 1860 et 1870 construit dans l’arrondissement de Compiègne écoles, sous-préfecture, prisons et mairies, il construit, en tant qu’architecte attaché au ministère de l’Instruction Publique les lycées de Bayonne, d’Aix-en-Provence, de Montluçon, l’Ecole Normale de Sèvres… ; puis il élabore la typologie des lycées parisiens : Fénélon, Montaigne, Condorcet, Louis-le-Grand…

Il travaille également à des établissements thermaux : le sanatorium de Saint-Trojan à l’Ile d’Oloron, l’établissement de Bourbon-l’Archambault, et celui de Vichy, donc les théâtre et casino sont classés Monuments Historiques.

Quant aux constructions particulières, elles ont été rares, quand elles n’ont pas été détruites : Charles Le Cœur avait construit un magnifique Hôtel pour le prince Georges Bibesco, boulevard Latour-Maubourg à Paris (malheureusement démoli au cours du XXème siècle) selon une organisation et une circulation, qui rappellent La Tisnère. Les plafonds avaient été peints par Auguste Renoir, jeune peintre à l’époqueencouragé par la famille Le Cœur, et qui a fait un portrait de Charles Le Cœur exposé dans le musée d’Orsay.

Ainsi travaillant sur le Château La Tisnère, Charles le Cœur, un ancien élève de l’atelier Labrouste et de l’Ecole des Beaux-Arts, le chevalier de la Légion d’honneur a su « ériger une bâtisse ravissante en un lieu où l’agrément est d’y être à la fois à la ville et à la campagne ».

Charles Le Cœur et La Tisnère

La réflexion de Charles Le Cœur pour dresser le plan de La Tisnère en 1876 semble s’inscrire dans le courant réaliste ou impressionniste, qui, à l’époque, touche la famille Le Cœur et la société Paloise. Le plan original de la Villa qui émerge à l’automne 1876 de la main de l’architecte mûrit dans une ambiance mariant la nature des Pyrénées et le renouveau artistique.

L’oncle de Charles, à l’origine de la Société des Amis des Arts de Pau, Charles Clément, avait commencé à organiser dans les années 60 des expositions d’artistes, reprises dans les années 70 par Paul Lafond et Alphonse Cherfils. La capitale béarnaise semble avoir été la seule ville de province à accueillir des expositions d’impressionnistes, telles qu’il y eut en 1876, rassemblant des œuvres de Corot, Courbet, Manet, Degas (le seul tableau vendu de son vivant à un musée est exposé au musée de Pau), Renoir (ami de Charles Le Cœur), Jongkind, Pissaro…

L’intérêt de Charles Le Cœur pour l’impressionnisme et la polychromie se retrouve dans le château de La Tisnère via la manière dont ses formes épousent la nature environnante dans une originalité des plans et des façades loin du conventionnel de l’architecture classique.

Le bâtiment est l’expression architecturale des goûts de Charles Le Cœur pour la gestion pragmatique des volumes, pour une variété esthétique des façades, pour le rejet de la recherche systématique des symétries, pour les savants mariages de matériaux (pierre de taille jaune, granit des Pyrénées, brique rouge), pour les ouvertures aux différentes dimensions et pour le non-conformisme.

Château de La Tisnère par Charles Le Cœur

Depuis la Conciergerie, sur ce versant du côteau de Gelos orienté vers le Levant, un chemin arboré de magnolias, sapins et chênes, guide le visiteur entre des prairies courant vers le val et des bois grimpant vers la crête, jusqu’au plateau où règne le château de La Tisnère.

A l’approche, la façade Nord du château, élevée partie sur caves voûtées, révèle trois niveaux : les hautes fenêtres du rez-de-chaussée et du premier étage ainsi que les fenêtres à fronton en pierre des chambres sous la toiture en ardoises et zinc, jouissent d’une vue incomparable sur la ville de Pau, le château de Henri IV, le Boulevard des Pyrénées… D’aspect massif, cette façade présente un style d’époque aux proportions très consensuelles aussi bien au niveau des fenêtres que des hauteurs.

Si les façades les plus importantes regardent l’ouest et l’est, le style Charles Le Cœur s’exprime à l’est et au sud. La façade orientale révèle deux corps de bâtiment parallèles d’ouest en est mais décalés, reliés par un corps central. Le décalage, qui se conjugue aussi en hauteur, en largeur et en balcon, permet aux Pyrénées et au soleil de midi de profiter au corps du château qui surplombe Pau, et qui est plus haut, plus large, plus doté, entre autres d’un balcon, que le corps regardant le sud. Une aile de service prolonge ce dernier vers le sud.

Le corps central montre un magnifique passage couvert, dentelle métallique, lumineuse verrière donnant sur un jardin d’hiver, supportant une terrasse au premier étage puis un pan de toit que coupe horizontalement au deuxième étage une série de petites fenêtres.

A l’ouest, dans une façade percée d’ouvertures de toutes dimensions, s’avance un porche; par une porte à quatre battants, le visiteur entre dans un immense vestibule de douze mètres de long sur quatre mètres de large, pavé de carreaux genre marbre noir et blanc. Il donne accès sur sa gauche au petit salon et au salon jaune ou salon de Musique regardant Pau, et en face au salon rouge de réception donnant sur le jardin d’hiver et à la salle à manger / cuisine. Les hauteurs sous plafond de quatre mètres confèrent à ces pièces un apparat sans excès et un volume chaleureux exceptionnellement bien dosé.

Le salon jaune ou salon de Musique dispose d’une bow-window, proéminence esthétique et confortable regardant le Château de Pau, les Pyrénées et la Vallée Heureuse. Entre le jardin d’hiver et la salle de réception, de grandes baies vitrées  au verre ancien et ondulé font miroiter les pavements décorés. La salle à manger donne sur une véranda « moderne » qui serait refaite agrandie en style d’époque.

Sur la droite, démarre un escalier monumental conduisant au premier étage où les chambres de maître sont pourvues de cheminée en marbre rare, de balcon et de terrasse, fenêtres jouissant d’imprenables points de vue. Ces pièces s’enluminent de hauteurs sous plafond comparables au rez-de-chaussée, leur conférant une prestance naturelle. Un escalier dérobé conduit au deuxième étage, où d’autres chambres de maîtres se répartissent autour d’un long couloir original de bois rouge.

Ainsi l’intérieur révèle une habitabilité et une gestion des volumes à la fois épurée et élégante, des prestations pragmatiques et esthétiques, tout comme l’extérieur présente à la fois des aspects originaux et équilibrés, fort différents selon l’endroit du parc d’où le regard peut porter sur le Château. La variété des matériaux utilisés mariée à cette morphologie rare du bâtiment font du château de La Tisnère une œuvre marquée par les principes architecturaux de Charles Le Cœur.